Chapitre 1 :
… Moi aussi, répondais-je, Ô CEPHALE, je me plais à converser avec les vieillards ; car, je crois qu’il faut s’informer auprès d’eux, comme auprès de gens qui nous ont devancés sur une route que nous devons peut-être aussi parcourir, de ce qu’elle est, âpre et difficile ou bien commode et aisée. Et certes, j’aurais plaisir à savoir ce que t’en semble, puisque tu es déjà parvenu à ce point de l’âge que les poètes appellent « le seuil de la vieillesse…
Il est temps que l’on se souvienne…
Ils étaient là aussi, Monsieur et Madame VERZAGOTE, dans les années 1970.
Ils se sont rencontrés, lui avait 20 ans, elle 19.
Beaux et vaillants, ils l’étaient tous les deux au moment de leur rencontre.
Ils ont connu l’amour, la belle vie et bien sûr ils étaient des adultes forts et ambitieux.
Ils ont connu les 30 glorieuses, ils travaillaient tous les deux.
Lui haut fonctionnaire et elle, cadre dans une grande entreprise.
Adultes, ils avaient l’âge « utile », ils cotisaient à la Sécurité Sociale.
Ils avaient beaucoup d’amis, parmi lesquels des collègues de travail.
Ils avaient deux voitures, une grande maison de 7 pièces, une grande piscine, un chien.
Ils ont eu deux charmants enfants, une fille et un garçon qui les adorent toujours. Chacun des enfants a eu 3 enfants pour le garçon et 2 pour la fille. 5 petits enfants merveilleux illuminent la vie des parents et grands-parents.
Les 5 petits enfants travaillent tous aujourd’hui et ont créé leur propre famille. Le couple est comblé.
La maison de Monsieur et Madame VERZAGOTE était toujours pleine de monde. Des collègues de travail de l’homme ou de la femme et des amis (es) des deux, leur rendaient visite. Certains venant solliciter leur service, d’autres pour des visites amicales. Ajouter à cela les enfants et petits-enfants. C’était chez eux que se fêtaient les anniversaires et autres fêtes de fin d’année.
Chapitre 2 :
Le travail de chacun lui conférait une place honorable dans la famille et au-delà, dans la société entière. Ils avaient une adresse postale : Mr. Et Mme VERZAGOTE avec le numéro de la rue, un code postal et un lieu-dit. C’était à cette adresse qu’il fallait se rendre pour les trouver.
En famille ou dans la société, Ils ne se privaient pas de joie de vivre ; ils partaient souvent en vacances en France ou à l’étranger.
Heureux, très heureux et épanouis ils sont, jamais ils n’ont connu la solitude.
A 85 et 82 ans aujourd’hui, ils sont toujours beaux et amoureux l’un de l’autre.
Mais ils ne travaillent plus, ils sont à la retraite depuis, ils ont atteint l’âge du repos mérité, c’est-à dire l’âge de « l’inutilité » dans les sociétés industrialisées.
Que sont-ils devenus, où habitent-ils aujourd’hui ?
Ils n’ont plus leur chien, ils n’habitent plus leur grande maison, ils habitent dans une maison pour personnes âgées dépendantes. Ils n’ont plus leur adresse personnelle…
Ils n’ont plus leurs voitures, ils ne voient plus les amis et ou collègues de travail, ils se sont faits d’autres amis de leur âge à la même adresse.
Mais les enfants, petits-enfants ne les ont jamais oubliés, ils viennent régulièrement les voir.
Ainsi va la vie.
Chapitre 3 :
Ainsi va donc le temps
Depuis la nuit des temps, il y a toujours eu des naissances, depuis la nuit des temps chacun finit par mourir !
Deux moments d’un même passage, deux moments qui caractérisent tout être vivant. Entre cette naissance et cette mort, un temps plus ou moins long s’écoule dont l’âge est la mesure.
Plus ce temps sera long et plus l’individu aura de chances de réaliser des projets : faire des études supérieures, apprendre un métier, se créer des réseaux d’amitiés, se mettre en couple, avoir des enfants…ou non !
Ainsi, au fil du temps, l’individu apprivoisera son espace de vie, son groupe communautaire.
Il mettra au service de la société ses forces physiques et intellectuelles ; et s’il vit longtemps, il connaîtra forcément un jour la vieillesse. Dès lors, on peut dire que tant que l’individu vit, il vieillit et tant qu’il vieillit, il vit ! Vivre c’est vieillir et vieillir c’est vivre ! Ces deux mots sont-ils antonymes ?
Dans un précédent article, j’ai parlé du cycle de vie tel qu’il est admis dans la tradition africaine, dans laquelle l’individu naît, traverse sept étapes grâce aux rites de passages obligatoires pour tous (tes). Ce sont ces classes d’âges qui forment l’école de la vie. Dans ce présent article je m’intéresse en particulier à trois moments clés dans la vie de chaque individu.
Il s’agit de :
- L’enfance ou l’âge des apprentissages fondamentaux
- L’âge adulte ou « l’âge utile »
- L’âge du repos mérité ou l’âge de la retraite
Trois âges d’une même vie à travers lesquels l’homme se définit par la place qu’il occupe dans la société. Suivant qu’il se trouve au début, au milieu ou vers la « fin » de ce parcours, la place que l’individu va occuper va être plus ou moins importante selon le type de société dans laquelle il vit : traditionnelle ou moderne.
Chapitre 4 :
Dans une telle société moderne, l’enfance est essentiellement l’âge des apprentissages. Après une multitude d’apprentissages fondamentaux durant la petite enfance, période où la famille occupe un rôle prépondérant dans la transmission des savoirs de base, vient ensuite l’âge scolaire où l’apprentissage du langage se précise, puis suivant l’origine de l’enfant, celui de l’écriture commence ou se perfectionne. Puis suivent des études plus importantes : primaires, secondaires, lycée et éventuellement des études supérieures. Dans une telle société on trouve donc des institutions (écoles… universités…) qui se chargent de fournir à l’enfant, à l’adolescent et au jeune adulte, l’essentiel des outils pour sa préparation à la vie d’adulte.
Durant ces préparations, enfants, jeunes adultes sont à la charge de la famille d’abord, puis dans certains cas, de l’État. Ils bénéficient d’aides de natures différentes. Préparés ainsi à prendre le relais, ils sont plutôt consommateurs non-productifs, et porteurs d’espoir.
L’âge adulte ou l’âge utile
Vient ensuite l’âge utile, en principe le propre de l’âge adulte : les études et principaux apprentissages sont terminés. C’est l’entrée sur le marché du travail . C’est aussi le moment d’occuper sa place ou de faire sa place dans la société en tant qu’acteur productif. C’est l’âge des « adaptabilités » et des « adaptations » réciproques. L’individu, en pleine force physique et intellectuelle, s’adapte facilement à la société qui s’adapte à son tour à lui.
Fort de toutes ses forces, le sujet est considéré comme un consommateur productif, il est un fervent animateur de la société. Il la fait vivre, et les marchés financiers se nourrissent des produits de ses forces. Les caisses de retraites, grâce à lui disposent d’importants capitaux. Étant salarié, il contribue au développement des divers régimes complémentaires. Il veut échapper à une vieillesse pauvre et malheureuse, il devient consentant quant à la nécessité d’un prélèvement plus important sur ses revenus. D’une pierre il fait plusieurs coups : tout en préparant son avenir, il supporte une double charge. Il doit venir en aide à la jeunesse qui entre de plus en plus tard sur le marché du travail, tout en payant pour ses aînés qui quittent de plus en plus tôt ce même marché de travail. Deux populations se trouvent ainsi en porte-à-faux l’une avec l’autre du fait d’une même question qui les concerne, à savoir le problème des transferts qui résulte d’une forme de rétrécissement de l’âge utile.
Ainsi, la jeunesse qui entre de plus en plus tard sur le marché du travail, aura-t-elle suffisamment travaillé et donc suffisamment cotisé en vue de sa propre retraite ?
Ceux qui sont déjà au travail doivent le quitter de plus en plus tôt. Là encore la même question se pose : auront-ils suffisamment travaillé pour avoir une bonne retraite ?
Chapitre 5 :
Qu’avons-nous à l’horizon ?
L’âge du repos mérité
Ainsi dans une société très développée du point de vue technologique, après l’âge des apprentissages, puis l’âge « utile », l’individu aborde le troisième décan de sa vie. En prenant sa retraite même à 55 ans, aux yeux de ses concitoyens, il s’achemine vers le troisième âge qui n’est qu’une période transitoire durant laquelle, l’homme moderne va « stagner » un moment avant d’entrer dans la vieillesse proprement dite.
Cet homme qui ne travaille plus de façon à percevoir un salaire, n’est plus considéré comme utile, puisque, comme souligne MARX « le profit naît du travail ».
Autrement dit, dans un système où, seul le travail salarié donne un sens à la vie des hommes, seules les personnes qui travaillent sont utiles. Celles qui ne travaillent pas (plus) sont aux antipodes des premières et sont perçues comme moins utiles voire inutiles pour la société.
Dans les sociétés industrialisées, l’axe du travail fixe à la fois, la position
de chaque individu et son rapport à la société et à ses concitoyens.
Dans les sociétés traditionnelles africaines, si le schéma global des âges de la vie est à peu près semblable, la philosophie des âges qui le sous-tend est cependant profondément différente. Ainsi, la toute petite enfance est un éveil aux enseignements communautaires de base. C’est en général le début des cérémonies et des rites de passage. Il s’agit avant tout d’initiations qui visent essentiellement à incorporer l’initié à une catégorie sociale à laquelle il n’appartient pas encore.
Les périodes les plus marquantes commencent dès le début de l’adolescence. A partir de ce moment, l’enfant est porteur d’espoirs pour la communauté entière, car beaucoup d’enfants meurent très tôt dans ces pays. C’est généralement dans le bois sacré qu’ont lieu les cérémonies. Ces rites de passages symbolisent habituellement une mort suivie d’une résurrection. Tous les initiés sont soumis à un secret commun qui n’est maintenu qu’à l’égard des jeunes non-initiés.
Chapitre 6 :
Il s’agit avant tout d’une forme d’éducation visant à la socialisation et à l’intégration des jeunes. Autant, dans le monde moderne, des écoles, des institutions de formation, des grandes écoles, des universités sont chargés de l’enseignement et des apprentissages pour préparer les hommes et les femmes à la vie professionnelle…, le propre de ces enseignements étant de viser essentiellement la matérialité, la maximation des savoirs et des connaissances techniques, la maîtrise de ces techniques, laissant très souvent dans l’oubli la connaissance de l’homme, la connaissance de soi au milieu de ses semblables, la connaissance de la nature et la capacité d’agir en harmonie avec son environnement…
Autant l’initiation dans les sociétés traditionnelles africaines a pour but principal cette connaissance de soi et de l’autre, cette compréhension respectueuse de son environnement naturel, une ouverture sur l’homme avec ses faiblesses, ses forces, ses émotions, ses envies, ses désirs, ses besoins à tout âge. Il s’agit avant tout d’un apprentissage d’une discipline très dure. Apprendre à mourir, apprendre à payer sa dette à la souffrance avant de mériter son vrai prénom, celui qu’on donnera à l’enfant après l’initiation.
Tout au long de sa vie, l’enfant, l’adolescent, l’adulte puis le vieux, apprend de nouvelles règles de vie appelées « les jeux de la vie ». À tout moment, il doit affronter des situations nouvelles auxquelles il est préparé par un apprentissage au travail sur soi. Ces épreuves, ajoutées aux épreuves naturelles, font de l’adulte, un adulte qui sait, qui connait les signes naturels de l’environnement, et est capable d’en tenir compte pour vivre une vie meilleure.
Etant donné que ces enseignements sont toujours sous la responsabilité des plus âgés (es), les plus âgés seront toujours entourés par les moins âgés, et nul ne peut, ne doit violer cette loi fondamentale qui est celle de respecter l’aîné.
Ainsi, le droit d’aînesse est toujours de rigueur en Afrique traditionnelle, et la place de l’aîné est excessivement importante dans la structuration de l’ordre social et valorisante pour l’individu âgé.
Chapitre 7 :
Poser le problème de la prise en charge des anciens en Afrique traditionnelle, nous oblige à faire la distinction entre deux catégories de personnes âgées :
– Les personnes âgées qui bénéficient d’une retraite à l’occidental
– Les personnes âgées en milieu rural (sans retraite), ainsi qu’à différencier le contenu de la notion de vieillesse du point de vue occidental de celui du point de vue africain.
Si du point de vue occidental la vieillesse est assimilée à l’invalidité, voire à la maladie, et en tous les cas à quelque chose de négatif que l’on cherche à atténuer ou à éviter, du point de vue africain, la conception que l’on a de la vieillesse est sensiblement différente, dans la mesure où la vieillesse est considérée comme un rapprochement des ancêtres, un cheminement vers la sagesse (voir article précédent schéma n°3).
En tant que telle, la vieillesse est synonyme de détention de connaissance dont la valeur est inestimable en Afrique. C’est pourquoi, la réponse institutionnelle donnée à la vieillesse en Occident va être radicalement différente de celle qui lui est donnée en Afrique.
Dans le contexte européen, l’assistance (surtout médicale…) reste la principale réponse donnée à la vieillesse en raison de la notion de maladie ou d’invalidité qui lui est associée.
Dans le contexte africain, même si la notion d’invalidité est présente, elle n’est que sous-jacente : vieillesse rime avec spiritualité, expérience, sagesse. Les personnes âgées sont considérées comme dépositaires, voire garantes de ces valeurs (au sens philosophique du terme). Elles sont censées assurer la pérennité d’un ordre social donné. C’est pourquoi, d’un point de vue économique, les personnes âgées sont considérées comme des producteurs de biens immatériels (conseils, connaissances, pharmacopée, médecine traditionnelle, règlement de différends, rôle de médiation entre les vivants et les ancêtres…). Du point de vue de la division sociale du travail, le passage du 2ème au 3ème âge se traduit par une évolution dans l’échelle de la division sociale du travail.
Chapitre 8 :
Avec l’avancée en âge, les individus sont progressivement dispensés des travaux physiques pour assumer des fonctions plus immatérielles, plus spirituelles.
A cause de leur grand âge et des fonctions importantes que cet âge leur assigne (garantes d’un ordre social…), les personnes âgées en Afrique sont dans un rapport de supériorité avec les autres membres de la société. Dans ce contexte, il est un peu délicat de parler de prise en charge qui laisse supposer une situation d’infériorité.
Toutefois, la réponse institutionnelle telle qu’elle est donnée en Occident, est assurée à plusieurs niveaux en Afrique en fonction du rôle social de la personne âgée.
1) La descendance
C’est le premier niveau de prise en charge. Toute famille africaine traditionnelle a à sa tête un vieux, couramment appelé « tête blanche ». Cette dénomination est synonyme de sagesse. C’est ce vieux qui est le NOYAU autour duquel gravitent tous les autres membres de la famille. Une famille sans noyau est une famille qui n’a pas de passé ni d’avenir.
Par son statut de plus âgé, l’aîné contrôle toutes les activités domestiques. C’est sous sa responsabilité que se font les rites de passage lors des initiations. Son rôle économique ne se discute pas. L’unité économique de base est représentée par l’ensemble des personnes qui vivent dans une même famille et qui mangent ensemble. Ce groupe forme une seule unité budgétaire dont la gestion est sous le contrôle du vieux.
Etant plus proche des Ancêtres, il est vénéré par les plus jeunes que lui. Tous le craignent, non pas à cause de sa force physique (il n’en a plus beaucoup) mais parce qu’il a résisté aux événements et intempéries qui ont emporté tant d’hommes, tant d’enfants… à cause aussi de sa force psychique, de sa grande expérience et de sa sagesse qui sont supérieures à la force physique. Or l’acquisition du savoir se fait avec le temps, dans le temps et coïncide avec l’âge physiologique, sinon de façon absolue, mais de façon suffisamment significative pour appuyer la relation fondamentale d’aîné à cadet. Il va sans dire que dans ce type d’organisation, l’ancien dont le rôle est limité à une fonction de conseiller de ses plus proches et de la gestion de l’unité économique de base, est entièrement « pris en charge » par sa famille.
D’un point de vue strictement économique, on peut estimer que le coût de cette prise en charge est la contrepartie des conseils ou des fonctions assumées par la personne âgée dans le cadre familial. La principale différence ici avec le système occidental demeure la proximité familiale qui ne fait aucunement défaut à l’aîné.
2) La Société
A ce second niveau, l’utilité sociale de la personne âgée dépasse le cadre de sa descendance (Médecine traditionnelle, connaissance pharmacologique…). Dans ce cadre-là, la prise en charge (matérielle, immatérielle) du vieillard est considérée comme la contrepartie de la fonction sociale qu’il assume au-delà du simple cadre familial. Elle peut être en nature ou en monnaie selon le cas.
Par exemple un guérisseur qui soigne et qui guérit untel d’une maladie grave, peut recevoir en contrepartie un poulet, un mouton, un bœuf… qui devient la propriété de toute la famille.
3) Les institutions publiques
Ce troisième niveau de prise en charge est essentiellement destiné aux personnes ayant cotisé à des fonds de pensions comme cela se fait en Occident. Cette prise en charge est essentiellement financière. Or les maisons de retraite, les maisons d’aides aux personnes âgées dépendantes ou non sont pratiquement inexistantes en Afrique, du fait de la prépondérance de la fonction familiale et sociale de la personne âgée.
Les différences de traitement de la vieillesse en Afrique d’une part et en Occident d’autre part sont essentiellement dues à deux facteurs principaux :
1 – la conception que l’on a de la vieillesse et des personnes âgées dans une société donnée,
2 – la particularité des relations sociales régies en Occident par d’autres considérations qu’en Afrique traditionnelle : domination des rapports marchands et de l’économie marchande en Occident qui entraîne l’exclusion ; économie fondée sur le troc, le don… en Afrique.
Même s’il est important de signaler ici que, de nos jours, ces distinctions tendent à disparaître dans les pays africains du fait de la généralisation et de la domination de la culture occidentale, les personnes âgées contribuent encore de façon fondamentale à la vie économique des foyers et à la préservation de la cohésion sociale.
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